Introduction

        En 1869, Victor Hugo publie L'Homme qui rit. L'anti-héros de ce roman, appelé Gwynplaine, a été mutilé. De cette mutilation, il en ressort défiguré à jamais par la présence d'un rire permanent gravé sur son visage. Des années plus tard, le personnage hugolien va influencer Bob Kane, un dessinateur de comics, et Bill Finger, un écrivain américain, dans le but de créer un nouveau personnage, connu désormais de tous, le Joker. Mais l'inspiration majeure de ce mauvais héros provient, plus exactement, de l'acteur allemand Conrad Veidt, interprétant Gwynplaine dans le film The man who laughs (1928) de Paul Léni (voir annexe n°1). Bob Kane confirma « cette version en 1994 : Le Joker ressemble à Conrad Veidt, l’acteur de L’Homme qui rit, adapté de Victor Hugo. Bill Finger m’avait montré la photo de Veidt dans le film et m’avait dit : Voilà ton Joker »1. Mais cet héritage du personnage qui rit ne s'arrête pas là. Dans le film The Dark Knight, de Christopher Nolan datant de 2008, l'acteur Heath Ledger, interprète du terrifiant Joker, ne nie pas avoir pris connaissance du film de Paul Léni pour incarner ce rôle. Par ailleurs, ce film est intéressant à étudier parce qu'il donne au Joker une place importante, presque centrale. Et sa cruauté atteint son apogée. Le corpus aurait pu s'étendre au film de Tim Burton, Batman (1989) et à la bande dessinée de Alan Moore et Brian Bolland, The killing joke (1988), qui, par ailleurs, sera mentionnée à titre d'exemple. Cette bande dessinée est pertinente par le thème de la folie. En effet, le scénario est basé sur l'adage « tout le monde peut devenir fou, tôt ou tard ». Celui-ci est d'ailleurs exploité dans le film de Christopher Nolan, comme nous pourrons le voir dans le développement. Cette mise en regard des diverses représentations de cet « homme qui rit » est intéressante. En effet, la description romanesque, et l'esthétique associée au cinéma permettent de mettre en valeur le personnage, par des procédés propres à chaque support : le récit par l'intermédiaire des figures de style et le cinéma par la mise en images et en mouvement.
        Le personnage de Victor Hugo a donc influencé le milieu de la bande dessinée et du cinéma, par son physique mutilé et rieur. En effet, dès le XIXème siècle, le rire possède déjà, chez Victor Hugo, une dimension sombre et perverse. Cette représentation du rire a donc un écho particulier à notre époque, notamment par l'illustration du personnage du Joker. En effet, le rire devient une arme et un signe de domination. Le personnage rit du malheur d'autrui. Nous avons donc la vision d'un rire « diabolique », en lien avec la société du XXIème siècle, qui ne « sait plus rire »2 selon les termes de Georges Minois.
       Nous allons donc voir la façon dont le rire-monstre de Gwynplaine (L'homme qui rit de Victor Hugo) a été poussé a l'extrême par l'intermédiaire de la création du personnage du Joker, ainsi que sa portée symbolique.
        Pour commencer, nous étudierons le fait que Gwynplaine et le Joker correspondent à la représentation d'un faciès figé par le rire. Puis, nous nous pencherons sur l'évolution certaine qui s'est produite d'un personnage à l'autre : de la victime au bourreau. Enfin, nous analyserons le rire du Joker, métaphore moderne du Chaos.


Notes de bas de page

1- COMIC SCREEN, Victor Hugo et le Joker : rira bien qui rira le dernier [en ligne ], mis en ligne le  22/09/2009, Disponible sur : <http://comicscreen.free.fr/commentvictorhugoainfluencelejoker.html> (Consulté le 02.11.2012)
 2- MINOIS Georges, Histoire du rire et de la dérision, Paris : Fayard, 2000, p. 572