III-
Le rire du Joker : une métaphore moderne du Chaos
The Dark Knight fait partie de ce
« cinéma américain traumatisé par le 11 septembre »1
comme le précise José Moure dans son ouvrage intitulé Le
plaisir du cinéma : analyses et critiques des films. Il
donne à voir une vision sombre du héros. En effet, à
la fin du film, Batman endosse les crimes commis par Dent et devient
un marginal aux yeux de tous. Le personnage principal de cette sequel
de Batman
Begins
(2005) du même réalisateur est donc le Joker. Dès sa première
apparition, il prend une place considérable et envahit l'écran, en
même temps que la peur envahit la ville de Gotham. Il est un
personnage à la fois fou et violent, et a la volonté de semer le
chaos.
Le
Joker est donc à l'image du Docteur Mabuse, un personnage de la
destruction et du chaos. Il est, de plus, considéré comme un
« terroriste »11
des temps modernes, selon les termes d'Harvey Dent dans le film de
Christopher Nolan. Le rire est, en ce sens, le symbole d'une
agressivité du comportement humain, comme nous avons déjà pu le percevoir par l'intermédiaire du motif dentesque. Le Joker prend plaisir
à tuer. Il rit de ses actes monstrueux et criminels. C'est le cas lorsqu'il entreprend de détruire l'hôpital.
1- La
folie ou la perte de la maîtrise de soi
Le
rire est une des expressions « les plus fréquentes et les plus
nombreuses de la folie »2
écrit Charles Baudelaire au XIXème
siècle. Le personnage du Joker en est la représentation même. En effet, il tente de démontrer le fait que chaque homme peut
devenir fou, un jour ou l'autre, à la suite d'un événement
difficile, d'un traumatisme. Cette tentative de démonstration de la
folie se retrouve à plusieurs reprises dans le film de Christopher
Nolan. C'est évidemment
le cas lorsqu'il tente de pervertir Harvey Dent (« le chevalier
blanc ») lorsqu'il se retrouve à l'hôpital. Il le convainc de
se venger. Harvey Dent devient alors Double-Face.
Le Joker est un personnage difficile à cerner. Est-il réellement fou ? Nous avons l'impression que deux forces se combattent en lui. Il constitue un être double, comme nous l'avons vu précédemment, partagé entre sa lucidité et sa folie maladive et criminelle. Après avoir réussi à convertir Harvey Dent, un des héros de Gotham, en un monstre assoiffé de vengeance et prêt à tuer, le Joker va tenter une nouvelle fois de démontrer la puissance de la folie. En effet, il va monter un plan diabolique : deux bateaux sont bloqués durant leur traversée ; l'un est rempli de citoyens ordinaires, le second de prisonniers transférés vers une autre prison. Les deux embarcations ont un détonateur. La seule solution pour s'en sortir est de le déclencher, au risque de faire exploser l'autre bateau. Si tel n'est pas le cas, le Joker les déclenchera tous les deux. Mais les passagers des deux embarcations s'abstiennent. Le Joker échoue.
Le Joker est un personnage difficile à cerner. Est-il réellement fou ? Nous avons l'impression que deux forces se combattent en lui. Il constitue un être double, comme nous l'avons vu précédemment, partagé entre sa lucidité et sa folie maladive et criminelle. Après avoir réussi à convertir Harvey Dent, un des héros de Gotham, en un monstre assoiffé de vengeance et prêt à tuer, le Joker va tenter une nouvelle fois de démontrer la puissance de la folie. En effet, il va monter un plan diabolique : deux bateaux sont bloqués durant leur traversée ; l'un est rempli de citoyens ordinaires, le second de prisonniers transférés vers une autre prison. Les deux embarcations ont un détonateur. La seule solution pour s'en sortir est de le déclencher, au risque de faire exploser l'autre bateau. Si tel n'est pas le cas, le Joker les déclenchera tous les deux. Mais les passagers des deux embarcations s'abstiennent. Le Joker échoue.
Il
est aussi intéressant de noter que cette idée est fortement
exploitée dans la bande dessinée de Alan Moore et Brian Bolland
intitulée The
Killing Joke. Le
Joker veut démontrer que chaque être humain peut basculer du
mauvais côté, y compris les héros. (Voir annexe n°2)
La
conception du super-héros telle qu'on la conçoit est donc mise à
mal dans ce volet des aventures de Batman. Nous sommes confrontés à
la fragilité de l'être humain, qui est en lien avec son
environnement. Le rire du Joker incarne donc, en quelque sorte, la
fragilité du monde moderne. Dans la bande dessinée, The Killing Joke, il s'interroge même :
Le rire du Joker lui permettrait donc d'abandonner les notions d'ordre et de raison. Ainsi, il voit le monde comme une "farce permanente", à l'image de son rictus. Mais, comme
le précise Georges Minois : « ceux qui passent leur temps à
rire du monde sont profondément tristes »4.
Rire, tristesse et violence sont donc liés.
Comment
l'homme ordinaire peut-il survivre dans un monde moderne si dur et
irrationnel ? Face à l'atroce réalité, à l'indiscutable absence
de sens et d'ordre de la condition humaine, 1 sur 8 pète les plombs3
2- La violence représentative de la part
sombre de l'Homme
Le rire est l'expression d'un « monde
hostile, sombre, terrifiant, aliéné »5.
Il correspond à un mensonge, et donc à une menace.
Autour du personnage du Joker, plane l'ombre
de la mort. Il s'agit d'un thème omniprésent : « le rire qui
tue » ou qui « pousse à se tuer ». Le rire prend
donc une dimension tragique. Celle-ci est également présente dans
L'Homme qui rit de Victor Hugo : « Il [Hardquanonne] a
rit, cela l'a tué »6 écrit le narrateur.
De plus, le malheur de Gwynplaine va l'entraîner à la mort. En
effet, à la fin du roman, il préfère se suicider dans l'océan
afin de rejoindre Déa, la femme qu'il aime, plutôt que de supporter
sa condition d'homme qui rit et dont tous se moquent. Ce rire à
connotation négative fait partie de la partie obscure de l'individu.
Il est toujours en lien avec cette idée d'un rire satanique,
diabolique et malsain. Mais le rire pourrait aussi correspondre à
une protection pour lutter contre le monde extérieur, à un masque
permettant de cacher quelque chose. Le Joker, par exemple, se forge
un personnage à partir de son visage mutilé. Il devient "Le Joker". À
préciser que dans le film, le réalisateur laisse planer le mystère
le plus absolu autour de son anti-héros. Nous n'avons droit ni à
son nom, ni à son véritable passé.
NOLAN Christopher, The Dark Knight [DVD], Neuilly-sur-Scène : Warner Bros Vidéo, 2008, 00:48:40 / 00:49:46
En effet, dans cet extrait, le Joker annonce une deuxième raison expliquant sa mutilation. Au début, le réalisateur a recours à un travelling circulaire. Cette idée de mouvement suggéré par cette technique est en lien avec la folie du personnage du Joker, que nous avons vu précédemment. C'est comme s'il ne savait plus vraiment d'où provenaient ses cicatrices, comme s'il avait perdu sa véritable identité. Par ailleurs, dans la suite de l'extrait, il se montre menaçant envers Rachel. Il pointe son couteau sur elle et s'énerve. Son rire devient sombre et agressif.
Sa transformation le rend mauvais. Il est comme prisonnier d'un visage rieur et figé qui n'est pas le sien. Ce rire l'a transformé et l'a convaincu de faire le mal. Il s'agit d'un rire de « désintégration »7. Nous avons l'impression que le Joker ne peut pas être sauvé. C'est comme s'il était plongé dans les ténèbres.
Sa transformation le rend mauvais. Il est comme prisonnier d'un visage rieur et figé qui n'est pas le sien. Ce rire l'a transformé et l'a convaincu de faire le mal. Il s'agit d'un rire de « désintégration »7. Nous avons l'impression que le Joker ne peut pas être sauvé. C'est comme s'il était plongé dans les ténèbres.
De plus, le rictus propre au Joker et à
Gwynplaine les fait paraître inquiétants, comme nous avons déjà pu
le voir. C'est ce que nous constatons chez le personnage de Victor Hugo : le rire devient sombre.
Par une prodigieuse intensité de volonté,
mais pour pas beaucoup plus de temps qu'un éclair, il avait jeté
sur son front le sombre voile de son âme ; il tenait en suspens son
incurable rire ; de cette face qu'on lui avait sculptée, il avait
retiré la joie. Il n'était plus qu'effrayant. 8
Ce
visage effrayant est poussé à l'extrême par l'intermédiaire du
personnage du Joker. En effet, comme il le dit lui-même dans le film
: « Je suis un agent du chaos »9.
Cette volonté de faire le mal, de prôner la destruction et de
vouloir semer la terreur et le chaos n'est pas sans rappeler le film
de Fritz Lang, Le
testament du Docteur Mabuse
(1933), dans lequel le docteur, enfermé à l'asile, a écrit ces
mots :
L'âme des
hommes doit être effrayée jusqu'au plus profond d'elle-même par
des crimes inexcusables et apparemment absurdes ; car le but ultime du
crime est d'instaurer le règne absolu du crime, de créer un état
total d'insécurité et d'anarchie fondé sur la destruction des
idéaux d'un monde condamné au naufrage. Quand les hommes envahis
par la terreur du crime seront devenus fous d'épouvante et d'effroi,
quand le chaos sera la loi suprême alors sera venue l'heure de
l'empire du crime.10
Habillé en infirmière, le personnage perd en crédibilité. En effet, il y a contradiction entre son acte monstrueux et criminel, et son costume et son attitude. Nous avons l'impression que le détonateur est pour lui un jouet. Il n'éprouve aucun remords.
Ce rire maléfique, représenté par le personnage du Joker, et par l'aristocratie dans le roman de Victor Hugo, peut laisser au lecteur-spectateur un sentiment de malaise, en lien avec un « rire jaune ». Le visage de Gwynplaine n'est pas le sien, il représente « le symbole du crime commis par la royauté sur le peuple entier »12. Le rire incarne donc l'expression de la condition humaine. De plus, le rire permanent du Joker le rend inhumain, ce qui est accentué par ses actes que l'on pourrait qualifier de barbares.
Ce rire maléfique, représenté par le personnage du Joker, et par l'aristocratie dans le roman de Victor Hugo, peut laisser au lecteur-spectateur un sentiment de malaise, en lien avec un « rire jaune ». Le visage de Gwynplaine n'est pas le sien, il représente « le symbole du crime commis par la royauté sur le peuple entier »12. Le rire incarne donc l'expression de la condition humaine. De plus, le rire permanent du Joker le rend inhumain, ce qui est accentué par ses actes que l'on pourrait qualifier de barbares.
Ce
cinéma d'après 11 septembre, comme nous avons pu le constater, nous
donne à voir une vision du héros différente. Batman est effacé
par la figure démoniaque et rieuse du Joker. De plus, le réalisateur
nous présente un monde dominé par l'inquiétude et la peur. Nous
avons l'impression, comme le notent Juliette Cerf, Aurélien Ferenczi
et Frédéric Strauss, auteurs de l'article « Batman, une
fiction qui reflète des peurs bien réelles », que « le Joker [entre]
dans le réel »13.
Le rire du Joker est donc bien ancré dans l'aire du temps. Le rire
menace, et devient un mal contre lequel il faut lutter.
Notes de bas de page
1- HUGO Victor, L'Homme qui rit [1869],
Paris : Le livre de poche, 2012, p.
127
2- BAUDELAIRE
Charles, De
l'essence du rire et généralement du comique dans les arts
plastiques [1855]
[en ligne] in
Litteratura.com,
Disponible sur
<http://chatonhubfrance.dyndns.org/FTP/lith%E9rature/Baudelaire/Essai/De%20l%27essence%20du%20rire.pdf>
(consulté le 20.10.2012), p. 7
3- BOLLAND Brian (illustrateur), MOORE Alan (auteur), Batman : the
killing joke [traduit de l'anglais par Jérôme Wicky],
Saint-Laurent-du-Var : Panini comics, 2009, p. 35
4- MINOIS
Georges, Histoire
du rire et de la dérision, Paris
: Fayard, 2000, p. 499
5- FRIEDEMANN
Joë, Victor Hugo, un temps pour
rire, Saint-Genouph : Librairie
Nizet, 2002, p. 134
6- HUGO
Victor, op. cit., p. 570
7- MINOIS
Georges, op. cit., p. 500
8- HUGO
Victor, op. cit., p. 751
9- NOLAN
Christopher, The Dark Knight [DVD], Neuilly-sur-Seine : Warner Bros
Vidéo, 2008, 01:46:07
10- LANG
Fritz, Le testament du Docteur Mabuse [en
ligne], vidéo mise en ligne le 10/11/2009, Disponible sur
<http://www.youtube.com/watch?v=6fAuz2jRcDM>
(consulté le 20/12/2012)
11- NOLAN
Christopher, op. cit., 01:08:14
12- HUGO
Victor, op cit., p. 725
13- CERF Juliette, FERENCZI Aurélien,
STRAUSS Frédéric, Batman : une fiction qui reflète des peurs bien
réelles [en ligne] in Telerama.fr, Disponible sur
<http://www.telerama.fr/cinema/batman-une-fiction-qui-reflete-des-peurs-bien-reelles,84867.php>
(consulté le 15.12.2012)